LUSI ☙ damaged people are dangerous

Mélusine ferma les yeux, appréciant la fraîcheur toute lugubre de la nuit. De temps à autres, une légère brise venait remuer ses longues mèches brunes cascadant sur ses épaules et offrant un contraste assez marqué avec la blancheur immaculée de son teint. Le regard plongé dans son conte, elle ne remarquait les bruits sourd résonnant au loin, fruit des travaux nocturnes de sa mère, Persine, fée battisseuse. Elle n’entendait pas les murmures rauques de sa sœur, Mélior, auprès des animaux de la forêt ni les clapotis des jeux d’eau de sa cadette, la mutine Palestine. Contrairement au reste de sa famille et quant bien même, elle était la puinée, elle demeurait toujours la plus rêveuse des trois et faisait souvent l’objet de railleries de la part de ses sœurs. « Toujours perdue dans ses histoires. » « Enfermée dans son monde imaginaire. » « Il va falloir que tu grandisses à un moment donné, Mélusine. Et que tu découvres la véritable nature des hommes. » « Ils ne sont pas tous comme Père. Ils ne nous méritent pas et tu ne devras pas craindre de les punir en temps voulu. » « Tu ne seras jamais Guenièvre ou Iseult. Rend toi à l’évidence. Pour eux, tu ne seras jamais qu’un moyen d’arriver à leur fin dans le meilleur des cas ; un monstre dans le pire. » « L’amour, ça n’est pas pour les gens de notre race. Nous sommes bien au dessus de cela. » Mais elle ne voulait pas les croire et elle se cramponnait à son espoir comme un aigle se cramponne à ses petits.

Un bruit de cavalcade la tira de ses pensées galantes et elle se leva avec grâce alors que ses sœurs se détournaient de leur activité pour porter leur attention sur le nouvel arrivant. Le cheval de ce dernier se cambra dans la clairière et Mélusine retint son souffle en plongeant son regard dans les prunelles obscures de ce dernier. Elle ne pouvait ignorer l’état de détresse intense dans lequel il se trouvait, ni passer outre les tâches sombres le recouvrant et qui brunissaient au fur et à mesure du temps qui passait. Ses sœurs reculèrent se dissipant dans la pénombre, lui intimant de les suivre, mais la toute jeune fée se rapprocha au contraire de l’inconnu. Fronçant les sourcils, elle l’observe chuter de son cheval et prendre sa tête entre ses mains, étant incapable de retenir ses sanglots ni sa crise d’angoisse qui l’empêchait de respirer. « Un accident, c’est un accident. Ils ne me croiront jamais. J’ai tout perdu. Tout. » Mélusine se rapprocha en douceur et s’agenouilla aux côtés du jeune homme, saisissant les contours de sa tragédie. Il s’appelait Raymond de Lusignan. Neveu du comte Aymar de Poitiers, il avait tué accidentellement son oncle en forçant un sanglier féroce. Il était poursuivi pour meurtre par les partisans de son oncle et par sa propre famille, prête à le condamner. Il n’y avait plus d’espoir pour lui. Lui souriant avec bonté, elle lui prit la main en douceur et le réconforta du mieux qu’elle pouvait jusqu’à lui proposer : « Je peux vous apporter mon aide. Je peux veiller à ce que vous soyez innocenté si vous l’acceptez. » Avant qu’il ait pu ouvrir la bouche pour l’interroger, elle continua, ses propos et son hardiesse alimentés par la lueur d’espoir qui apparaissait dans le regard du jeune homme : « Je peux faire de vous un très puissant et riche seigneur. Je ne poserai qu’une seule condition toutefois : vous devrez m’épouser. »

Raymond plongea son regard dans les yeux verts étincelants de la fée et elle put lire dans ce dernier toute la douceur dont elle avait toujours rêvé. C’était comme s’il la voyait enfin et que les nuages qui s’étaient amoncelés dans son ciel s’étaient envolés. Elle lui rendit son large sourire et s’humecta les lèvres après qu’il lui ait assuré que cela serait un immense honneur. Elle prit une profonde inspiration avant de préciser un dernier élément pourtant essentiel. « Jurez-moi également de ne jamais chercher à me voir les samedis. » Interloqué devant cette nouvelle condition surprenante, elle parvint à le rassurer de sa beauté inaltérable et il confirma son intention d’épouser celle qui allait le sauver de la déchéance. Mélusine avait atteint son rêve. Finalement.